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Interview des entrepreneurs fondateurs du cabinet de conseil en design d’affaires Efficience au Québec (2)

Bonjour à tous,

Voici la seconde partie de l’interview de deux entrepreneurs québécois que j’ai eu la chance de rencontrer lors de mes études au Québec. Il s’agit de Jonathan Jubinville et de David King-Ruel qui ont fondé le cabinet Efficience en design d’affaires (ils ont tous les deux fait les mêmes études que moi il y a 2 ans 😉 ).

Ça parlera beaucoup entrepreneuriat et développement durable 🙂

Bonne lecture à tous et merci encore à David et Jonathan pour l’interview.

Pourquoi entreprendre : Pour vous c’est quoi la pensée systémique ?

Jonathan : En un mot c’est la réalité. C’est une façon d’analyser calquée sur la réalité même de la vie. Par exemple Fridjof Capra, dans ses écrits, élabore d’autres bases pour analyser la vie. Il met la lumière sur les relations entre les espèces vivantes puisque ce sont elles qui ont permis l’évolution. Le même principe s’adresse aux systèmes créés par l’humain (nos systèmes économiques, nos systèmes politiques) puisqu’ils sont eux-mêmes le fruit de l’évolution de la vie. Considérant cela, la santé d’un système économique est soumise à la santé de notre vie en société et notre propre qualité de vie est soumise à la santé de notre environnement.

David : La pensée systémique demande enfin une humilité dans la manière de penser qui te dit que tu ne pourras jamais tout comprendre.

Jonathan : On sort de la pensée de l’humain qui domine la planète. On ne peut pas croire qu’on peut tout contrôler. Beaucoup pensent qu’il est possible de contrôler les impacts négatifs sans changer l’origine des problèmes. Or, on peut influencer certaines choses, mais on ne peut pas prendre possession d’un système. On peut seulement analyser les « patterns » pour jouer sur des leviers et l’influencer.

David : L’humain n’est plus au centre, le dominant. La nature est bien trop complexe, on ne peut que l’influencer.

Jonathan : Même l’évolution humaine n’est pas contrôlable du fait de son système cellulaire complexe et de l’influence directe de son environnement.

David : Tout n’est qu’interrelations. Tout est connexions (cellules, amis, nature). Cela brise cette individualité. Il faut de l’humilité avec la nature : je suis un produit de la nature, de mes relations.

Jonathan : On arrête de penser qu’on peut connaitre LA réponse, on arrête de focuser sur l’élément à l’extérieur de son contexte.

David : Par exemple, une équipe de foot. Ce n’est pas l’entraineur mais la structure de l’équipe qui va déterminer son succès ou de son échec. Un même entraineur ailleurs ne produirait pas forcément le même résultat. On donne toujours au perturbateur le rôle prépondérant ou la cause des conséquences de tout un système, alors que ce n’est pas forcément le cas.

Jonathan : On sort de la pensée linéaire, car ça n’existe pas dans le monde réel.

David : C’est l’effet qui est la cause, tout est intégré.

Pourquoi entreprendre : Qu’est ce que peut apporter à une entreprise le changement de son modèle d’affaires pour être dans le paradigme du développement durable ? Qu’est-ce que peut apporter le développement durable à une entreprise ?

Jonathan : Ça amène la vie à long terme et la résilience. Ça donne également un sens beaucoup plus profond dans son environnement et donne un point de vue beaucoup plus humain. Au final, il deviendra alors beaucoup plus facile de reconnaitre les bienfaits de son activité pour l’humain.

David : Aujourd’hui de nombreux entrepreneurs ne voient pas le sens de leur entreprise : je donne des salaires, je fais du chiffre, … Ok mais après, qu’est ce que j’apporte vraiment à la société? Il faut qu’il y ait un sens derrière tout cela. Il faut réfléchir à ce que l’on peut léguer à la société. Qu’est ce qui restera après nous? Il faut que se soit positif pour l’entrepreneur et pour la société.

Jonathan : Par exemple, le marché. C’est un lieu convivial, agréable pour les gens avec des échanges, des interactions et la fraicheur des aliments. Cela donne énormément de sens contrairement à de la grande distribution qui nous sert le tout dans un packaging impersonnel.

David : Tu as raison, bon exemple.

Jonathan : Cela valorise un contact privilégié avec le producteur, l’origine de ce que l’on consomme.

David : Il faut se reconnecter à nos valeurs, à notre culture. Le paradigme actuel quant à lui nous déconnecte de ces valeurs. Par exemple, le cordonnier québécois qui fait lui-même ses chaussures. Les gens valorisent son réel métier (alors qu’actuellement tout est fait en Chine, et on ne voit pas la valorisation du travail ou de l’objet dans tout cela). Il offre un produit adapté, un produit unique.

Jonathan : Présentement beaucoup se définissent en consommant. Il n’y a aucun attachement à ce que l’on consomme, nous sommes attachés à la consommation elle-même.

David : Acheter un produit qui a de la valeur ça te valorise toi aussi. La relation entre l’individu et l’objet pourrait être importante, mais ce n’est pas le cas aujourd’hui.

Jonathan : Sans revenir à une économie paysanne, nos modes de production et de consommation sont à repenser pour en permettre l’évolution.

Pourquoi entreprendre : Quel est votre discours commercial pour convaincre un client potentiel ?

David : C’est relativement facile car on arrive avec nos projets déjà élaborés et empreint d’une vision qui apporte du sens. Il n’y a pas besoin de convaincre de la nécessité du DD car le projet est déjà créé. On n’a pas encore eu affaire à des confrontations et des argumentations à proprement dites.

Jonathan : Et on choisit en amont les partenaires avec qui on souhaite travailler.

David : On ne peut pas changer le paradigme d’une entreprise par la confrontation. On peut changer le paradigme des gens en revanche par un travail de collaboration. Nous pourrons faire des conférences, proposer des activités ou du coaching personnel.

Jonathan : Cela sera beaucoup teinté de formations aussi. Les gens commencent à comprendre qu’un changement est inévitable. Pour que ce changement s’effectue dans le sens d’un monde durable, nous devons bien établir les principes fondamentaux de la durabilité.

David : Il faut commencer avec le dirigeant car beaucoup découle de lui. Changer un paradigme est complexe mais c’est l’outil le plus puissant pour réaliser de vrais changements.

Pourquoi entreprendre : Si on reprend Donella Meadows (Thinking In Systems – la pensée systémique), vous jouez plus sur le paradigme que sur les chiffres.

David : Oui nous cherchons à influencer sur le paradigme mais pas seulement. Influencer les règles peut aider à faire avancer les choses.

Jonathan : Également les boucles de rétroaction qui créent des résistances au changement.

David : Si on veut rester pertinent avec Donella Meadows, il faut tenir compte de tous les leviers car il ne s’agit pas de croire que changer de paradigme résoudra tous les problèmes. Tous les moyens sont bons mais il faut agir là où c’est pertinent de le faire selon chaque contexte.

Pourquoi entreprendre : L’investissement en vaut donc la peine ?

Jonathan : Ça dépend des résultats attendus par l’entreprise, parce que si sa seule motivation c’est de faire du chiffre on ne pourra rien faire. Alors que si elle veut créer du sens à travers son activité, là oui l’investissement en vaudra la peine.

David : Je vais donner une réponse choc : non, ce n’est aucunement rentable d’investir dans le DD « 2.0 » si on ne juge pas de ses résultats déjà avec une vision issue du paradigme émergeant, car on ne produira pas un chiffre, mais une qualité. On doit juger des résultats en termes de bonheur des employés, de résilience, etc. Celui qui n’a pas cette vision du monde à la base ne verra pas son investissement comme rentable. Les résultats de l’action en 2.0 doivent être interprétés en 2.0..en quelque sorte.

Jonathan : On n’a pas la prétention d’être des faiseurs de success stories, mais peut être qu’avec l’émergence du nouveau paradigme ça pourrait être le cas. Les valeurs vont changer et le succès et la réussite ne seront plus perçus de la même manière qu’aujourd’hui. Ça favorise une viabilité à long terme, en préparant les organisations au modèle émergent, mais ne garantit pas une croissance des profits car ce n’est pas l’objectif.

David : Si on investit dans du DD 2.0, il ne faut simplement pas s’attendre à faire forcément des résultats quantifiables dans le modèle comptable actuel.

Pourquoi entreprendre : Quand passerons-nous donc au paradigme du DD 2.0 ?

Jonathan : Le changement de paradigme est déjà en cours. Quant à savoir à quel moment ce nouveau paradigme sera généralisé, nous n’en avons aucune idée. L’évidence qui saute aux yeux c’est surtout une accélération observable du changement.

La suite demain 🙂 …

Par Jérôme HOARAU

Jérôme Hoarau est conférencier en soft skills (Jerome-Hoarau.com) et est co-organisateur du championnat de France officiel de Lecture Rapide et de Mind Mapping. Il a obtenu plusieurs titres de sport du cerveau tels que :
- Champion du monde de Mind Mapping 2018
- Champion du Royaume-Uni de Mind Mapping 2019
- Vice-champion du Royaume-Uni en Lecture Rapide 2019
Il est le co-auteur des livres "Les Gentils aussi méritent de réussir" (Alisio) et de "Soft Skills (Dunod). Il a également co-fondé le site PassiondApprendre.com.

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