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Interview de l’entrepreneure Aurélie Duthoit – jeune fondatrice de Babyloan

Après avoir publié plusieurs articles sur le social business et le micro-crédit, nous avons aujourd’hui le plaisir d’interviewer une jeune entrepreneure : Aurélie Duthoit co-fondatrice de la société de micro-crédits Babyloan.

Pourquoi-entreprendre : Vous êtes la co-fondatrice de Babyloan. Pouvez-vous nous expliquer de quoi il s’agit et nous présenter votre parcours ?

Aurélie Duthoit : Babyloan est un site internet qui permet 2 nouvelles « pratiques » dans l’aide au développement :

* Vous prêtez pour aider au lieu de donner. C’est-à-dire que si vous prêtez 50 € vous pouvez soit être remboursé(e) et aider sans « perdre » d’argent – l’aide n’est plus accessible qu’aux mieux lotis – soit avec ces mêmes 50€ aider  une personne, puis une autre, puis une autre et ainsi de suite.

*vous pouvez choisir la personne que vous aidez : Concrètement, vous vous rendez sur babyloan.org, parcourez les différents projets des micro-entrepreneurs que vous pouvez financer. Ces fiches projets contiennent la photo de l’entrepreneur, son prénom, la description de son projet et son besoin en micro-crédit. Vous pouvez donc choisir le type de projet et la personne que vous souhaitez soutenir. Cette aide en mode « parrainage » est parfois critiquée, et peut être en effet critiquable…mais nous avons pu remarquer qu’il participe beaucoup plus à la transparence et à la personnification de l’aide par l’internaute qu’une dérive discriminatoire. Les internautes choisissent les projets par pays ou affinité de métier (un coiffeur choisira certainement d’aider une coiffeuse plutôt qu’une éleveuse de poules, certes, mais comme pour tout système d’aide).

Il s’agit donc de micro-crédit solidaire (vous ne récupérez pas d’intérêt sur votre prêt). En prêtant de l’argent à des micro-entrepreneurs, vous participez à une nouvelle forme d’aide valorisant la dignité du bénéficiaire qui s’en sort grâce à votre coup de pouce mais surtout grâce à son travail qui lui permet de vous rembourser. Sur Babyloan, la main qui donne n’est plus au dessus de la main qui reçoit.

Quant à mon parcours, j’ai fait une prépa puis école de commerce (Edhec Lille) durant laquelle j’ai choisi de faire un an de césure en Equateur pour une ONG. Ma mission était de former des banques communautaires de micro-crédit avec les communautés de femmes indigènes quecha. L’expérience humaine et la découverte du micro-crédit étaient telles qu’il n’était pas envisageable pour moi de faire autre chose. En tête depuis un bout de temps de monter ma propre boîte, j’ai complété mon expérience terrain par des expériences micro-crédit au sein de sièges sociaux qui m’offraient un apprentissage du secteur du micro-crédit, peut être moins glamour, mais très complet. Après 2 ans et un master de gestion d’entreprises, je me suis lançée dans l’aventure Babyloan.

En aidant des micro-entrepreneurs en situation précaire, nous choisissons une aide sur le long terme et qui peut être régulière à des micro-entrepreneurs dans les pays en développement. Rien à voir et donc absolument pas en « contradiction » mais plutôt complémentaire avec l’aide d’urgence suivant des catastrophes, comme après le tsunami de 2004 ou le tremblement de terre en Haiti. Babyloan est le 1er site Internet européen qui permet d’aider en faisant un prêt solidaire à des micro-entrepreneurs.

Pourquoi-entreprendre : Pensez-vous que le micro-crédit est un bon moyen de concilier business et aide au développement ?

Aurélie Duthoit : Le micro-crédit s’adresse aux micro-entrepreneurs exclus du système bancaire et en situation précaire. Il s’agit bien d’une aide à une population vulnérable, et orientée vers le développement d’une activité économique. Le développement de cette petite activité permet l’amélioration des conditions de vie de l’entrepreneur et celles de sa famille…et ce grâce au fruit de son travail. C’est ce que je préfère dans l’idée du micro-crédit : considérer que ces populations vulnérables font partie de la solution et non du problème. L’orientation économique de cette aide est une avancée audacieuse qui permet de rendre l’aide au développement économiquement viable et non dépendant de la générosité irrégulière et aléatoire.

Pourquoi-entreprendre : Comment se passe la relation avec les micro-entrepreneurs du Sud ? Vous déplacez-vous directement sur le terrain afin de les rencontrer ?

Aurélie Duthoit : Je rentre d’une visite terrain en Equateur et au Nicaragua où j’ai eu l’occasion de rencontrer des bénéficiaires de Babyloan et nos partenaires locaux sur place. A ce jour, les Babyloaniens ont permis de financer près de 3000 personnes, sans compter les répercussions sur leur famille. Depuis nos bureaux à Malakoff, nous n’avons pas la chance de connaître ces 3000 micro-entrepreneurs. Nous travaillons donc avec des institutions de microfinance intermédiaires, qui elles, travaillent au quotidien avec les micro-entrepreneurs. Les visites terrain sont donc aussi l’occasion pour nous de mieux connaître nos partenaires, faire le suivi de leurs activités, vérifier leur fiabilité et qu’elles respectent leur mission sociale d’accompagnement aux micro-entrepreneurs.

Pourquoi-entreprendre : Pourquoi le micro crédit n’est il pas plus développé en France ?

Aurélie Duthoit : Quand nous réflechissions au lancement de Babyloan en 2008, la crise se faisait sentir et nous voulions lancer Babyloan pour les micro-entrepreneurs en France. Les barrières règlementaires (le métier du crédit est très règlementé) étaient trop grandes pour la France, ce qui nous a poussé à lancer en 2 temps : d’abord dans les pays en développement puis en France. Nous avons donc travaillé à changer la loi pour pouvoir faire du Babyloan en France. La loi a été votée en juin et aujourd’hui nous sommes fiers et heureux de vous annoncer que nous devrions être capable de pouvoir soutenir des micro-entrepreneurs en France d’ici la fin de l’année.

Quant aux raisons qui expliquent que le micro-crédit n’est pas aussi développé en France, elles sont nombreuses. Dans les pays du Sud, c’est plus de 80% de la population qui est exclue du système bancaire. En France,  le rapport est inversé. Faire bouger les choses, dans un environnement aussi règlementé que le système bancaire pour une infime partie de la population n’était peut être pas la priorité. Mais ça change et la crise a finalement été un facteur d’expansion permettant de prendre conscience que l’auto-entreprenariat pouvait être très efficace dans la lutte contre le chômage et avec l’auto-entreprenariat se développe le micro-crédit. La France accuse d’un certain retard, peut être du fait du manque d’audace. Vous connaissez la blague du vendeur de chaussures dans le Sahara ? L’américain y voit une opportunité immense ; le français ne comprend pas l’intérêt vu que tout le monde y marche pieds nus.. ;

Pourquoi-entreprendre : Babyloan est un « social business ». Pourquoi avoir structuré cette activité comme une entreprise sociale plutôt qu’une association ?

Aurélie Duthoit : Comme on le disait plus haut, le micro-crédit permet d’allier mission sociale et mission économique. Le format de l’entreprise sociale, c’est la même chose : monter une entreprise, qui a des obligations de viabilité économique tout en s’attaquant à la résolution d’un problème social, est en parfaite cohérence avec la promotion de la microfinance. Il est étonnant comme beaucoup s’étonnent de voir une entreprise faire du social, et comment dans l’esprit de beaucoup c’est une activité réservée au secteur associatif non lucratif…alors que la récente crise mondiale met tout le monde d’accord sur le fait qu’il faut changer notre regard sur l’économie et la nécessité d’y injecter de l’humain !

Pourquoi-entreprendre : Quelles sont les principales difficultés que vous avez rencontrées lors de votre aventure de l’entrepreneuriat ?

Aurélie Duthoit : Les 200 mails quotidiens, le manque de financement, les immenses contraintes règlementaires et les océans d’obligations administratives qui ne font absolument pas avancer le schmilblick. Le handicap auquel je suis le plus confrontée est de constater une économie à 2 vitesses. Dans une PME innovante, il faut aller vite, savoir réagir, rebondir…et nous travaillons souvent avec des entités économiques beaucoup plus grandes au sein desquels les process de décisions sont très longs, procéduriers et fastidieux. J’ai peu d’expérience dans des grands groupes et j’avoue faire preuve d’impatience et parfois d’incompréhension ..surtout que je me dis que ces grands groupes ont forcément été des PME qui devaient agir vite.

Pourquoi-entreprendre : Quels conseils nous donneriez-vous pour ceux qui souhaitent se lancer à leur propre compte ?

Aurélie Duthoit : Ouh la, il est difficile de prodiguer des conseils quand on n’a pas 30 ans, encore tout à prouver, que chaque projet est individuel, chaque expérience personnelle,  et quand à priori, on est né plutôt assez privilégié. Mes parents n’ont jamais connu le chômage, ils ont pu me payer des études supérieures, je ne me souviens pas avoir souffert du manque dans ma jeunesse. Il a donc certainement été plus facile ou moins dangereux ou contraignant pour moi de prendre des risques que pour d’autres personnes. Donc toute proportion gardée des moyens et contraintes de chacun, je ne pourrai que citer Claude Henrion : « Bien heureux les « fêlés » car ils laissent passer la lumière ». Prenez des risques, suivez vos convictions car même l’échec est un apprentissage.

Merci beaucoup Aurélie pour cet interview ! 😀

Par Jérôme HOARAU

Jérôme Hoarau est conférencier en soft skills (Jerome-Hoarau.com) et est co-organisateur du championnat de France officiel de Lecture Rapide et de Mind Mapping. Il a obtenu plusieurs titres de sport du cerveau tels que :
- Champion du monde de Mind Mapping 2018
- Champion du Royaume-Uni de Mind Mapping 2019
- Vice-champion du Royaume-Uni en Lecture Rapide 2019
Il est le co-auteur des livres "Les Gentils aussi méritent de réussir" (Alisio) et de "Soft Skills (Dunod). Il a également co-fondé le site PassiondApprendre.com.

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